G20 : un coup d’épée dans l’eau,
par Damien Millet et Eric Toussaint
LE MONDE | 06.04.09 | 13h18 • Mis à jour le 06.04.09 | 13h18
Les effets d’annonce n’ont pas manqué autour du sommet des pays industrialisés et émergents (G20) réuni à Londres les 1er et 2 avril pour apporter des solutions à la crise. Mais le bilan est sans appel : le G20 n’a pas été à la hauteur de l’enjeu.
La raison est structurelle : le G20 n’a pas été mis en place pour apporter de véritables solutions, il a été convoqué à la va-vite pour sauver la mise des puissants et tenter de colmater les brèches d’un capitalisme en pleine crise. Impossible, dès lors, qu’il adopte des mesures suffisamment radicales pour modifier en profondeur le rapport de force actuel.
Face à l’ampleur de la crise internationale, le G20 s’est contenté de limer les dents de ce système prédateur au lieu de le mettre hors d’état de nuire. L’opinion publique a été priée de regarder dans deux directions qui ont servi à cristalliser l’exaspération : les paradis fiscaux d’une part, les rémunérations des dirigeants de grandes entreprises d’autre part.
Il faut abolir les paradis fiscaux, cela va de soi. Pour cela, il suffit d’interdire aux entreprises et aux résidents d’un pays donné d’avoir des actifs dans des paradis fiscaux ou d’entretenir des relations avec des partenaires qui y seraient situés. Les pays de l’Union européenne qui fonctionnent comme des paradis fiscaux (la City de Londres, l’Autriche, la Belgique, le Luxembourg…) et la Suisse doivent lever le secret bancaire immédiatement et mettre fin à leur pratique scandaleuse. Mais telle n’est pas l’orientation prise par le G20 : quelques cas emblématiques vont être sanctionnés, des mesures minimales sont demandées aux pays concernés, et une liste noire des territoires non coopératifs soigneusement épurée va être dressée.
Par ailleurs, les rémunérations des dirigeants des grandes entreprises, incluant parachutes dorés et bonus divers, sont proprement scandaleuses. En période de croissance, le patronat affirmait qu’il fallait récompenser ceux qui apportaient tant de profits aux sociétés afin qu’ils ne partent pas ailleurs. Alors que leurs pratiques aventureuses et frauduleuses ont débouché sur le désastre qu’on connaît, les mêmes continuent de justifier des revenus faramineux. Le G20 a tenté d’ »encadrer » ces rémunérations, et ce pour une durée limitée. Mais la logique elle-même n’est pas remise en cause.
Au-delà de ces deux questions, pour lesquelles aucune sanction éventuelle n’est spécifiée, les pays du G20 vont continuer de renflouer les banques. Le FMI, bien que discrédité et délégitimé au niveau mondial, va être remis au centre du jeu politique et économique grâce à un apport important de fonds, d’ici à 2010.
La seule véritable nouveauté, c’est la promesse de ne plus automatiquement attribuer la présidence de la Banque mondiale à un citoyen des Etats-Unis et la direction du Fonds monétaire mondial (FMI) à un Européen. Pour autant, il n’est toujours pas question d’appliquer dans ces institutions la règle démocratique élémentaire « un pays = une voix », et les grandes puissances continueront de prendre les décisions qu’elles souhaitent.
Un petit coup de peinture sur un monde en ruines, voilà la démarche du G20. Seule une forte mobilisation populaire pourra permettre de bâtir des fondations solides pour construire enfin un monde dans lequel la finance est au service des êtres humains, et non l’inverse. En opposition au G20, les manifestations qui ont débuté le 28 mars furent très importantes dans une multitude de villes d’Europe et d’Amérique latine. La semaine d’action mondiale décidée lors du Forum social mondial de Belém en janvier a eu un écho imprévu par les grands de ce monde. Ceux qui ont annoncé la fin du mouvement altermondialiste se sont trompés, il est capable de réussir de grandes mobilisations jusqu’au coeur de la City de Londres.
Une nouvelle crise de la dette est en préparation au Sud, conséquence de l’éclatement de la bulle de la dette privée immobilière au Nord. La crise qui touche aujourd’hui l’économie réelle de tous les pays du Nord a provoqué une chute des prix des matières premières, ce qui a réduit les recettes en devises avec lesquelles les gouvernements des pays du Sud remboursent leur dette publique externe.
De plus, le credit crunch a provoqué une hausse du coût des emprunts des pays du Sud. Ces deux facteurs provoquent déjà des suspensions de remboursement de la dette de la part des gouvernements des pays les plus exposés à la crise (à commencer par l’Equateur). D’autres suivront.
La situation est absurde : les pays du Sud sont des prêteurs nets à l’égard du Nord, à commencer par les Etats-Unis qui ont une dette extérieure totale de plus de 6 000 milliards de dollars (4 475 milliards d’euros, le double de la dette externe des pays du Sud). Les banques centrales des pays du Sud achètent des bons du Trésor américain.
Ils devraient au contraire former ensemble une banque du Sud démocratique, afin de financer des projets de développement humain. Ils devraient quitter la Banque mondiale et le FMI qui sont des instruments de domination. Ils devraient développer des relations de solidarités Sud-Sud comme le font les paysla Dominique. Ils devraient réaliser un audit des dettes qu’on leur réclame et mettre fin au paiement des dettes illégitimes. membres de l’Alternative bolivarienne pour les Amériques (ALBA) qui regroupe le Venezuela, Cuba, la Bolivie, le Nicaragua, le Honduras,
Le G20 a veillé à préserver l’essentiel de la logique néolibérale. Les principes ayant conduit à l’impasse actuelle sont de nouveau martelés, comme l’attachement du G20 à « une économie mondiale ouverte basée sur les principes de marché ». Son soutien au dieu marché n’est pas négociable. Le reste n’est qu’illusion.
Damien Millet est mathématicien et porte-parole du Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde (CADTM France) ;
Eric Toussaint est docteur en sciences politiques et président du CADTM Belgique.